J'ai dû me perdre en chemin...

Publié le par MaDemoiseLLe S.

Entre le chemin de l’école et celui qui devait sentir la noisette, je me suis égarée.

Je me souviens avoir trébuché, me prenant les pieds dans des ronces qui cherchaient à me happer. Je me suis relevée une première fois et j’ai fui à reculons, fixant d’un regard terrifié, cette route maudite. Mais le sol s’est ensuite dérobé sous mes pieds et un précipice m’a avalée.

Je me suis réveillée, gisante sur une terre boueuse, crasse et je n’ai pas pu me relever. Je suis restée là longtemps, dans ce gouffre habité de fantômes qui me murmuraient à l’oreille, des mots que je ne connaissais pas.

Pour les faire taire je suis repartie, cherchant à tâtons dans l’ombre une sortie et je me suis engouffrée dans la première.

Le soleil m’a d’abord ébloui et j’ai vu au loin une oasis. Je m’y suis précipitée, mais plus j’avançais, plus elle reculait… Je ne l’ai jamais rattrapée : les mirages ne se laissent pas apprivoiser.

J’ai continué ma route dans le sable, bravant la canicule ou le brouillard. Mais mon pied alla s’enfoncer un beau jour dans des sables mouvants. D’abord les chevilles, puis les genoux, les hanches, la taille, la poitrine… Au bout d’un moment, je ne me suis plus débattue et j’ai laissé le sol m’engloutir doucement…

Alors j’ai dû perdre connaissance.

La Terre ne m’avait pas mangée, car je me suis éveillée, ici, face à ce carrefour, cet embranchement de voies dénué de toute signalisation.

Alors oui, je crois que j’ai dû me perdre en chemin.

 

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Je me suis perdue en chemin.

En cours de route, j’ai égaré des morceaux de moi. Des morceaux que j’aimais bien en plus.

 

J’ai perdu il y a des années, onze ans déjà, un bout de moi que j’adorais par dessus tout… C’était une belle part de joie. De joie et d’insouciance.

Un bon gros morceau de moi, parti en fumée. Volatilisé dans les couloirs glauques d’un hôpital de province. Envolé devant la Grande Faucheuse qui sans même s’annoncer, est venue kidnapper mon père. J’ai hurlé, crié, gesticulé, quand je l’ai vue se pointer, mais personne ne m’a crue, ne m’a entendue et d’un claquement de doigt, elle a pris ce qu’elle était venue chercher.

 

Alors ce jour là, j’ai aussi perdu un petit bout de ma candeur, un gros fragment de confiance et puis aussi tout ce qui me restait de mon enfance.

En contrepartie, j’ai hérité d’une énorme portion de colère, de vide, de gravité… et ma part de mélancolie elle, n’a fait que se gonfler…

 

Plus tard, j’ai perdu autre chose encore, alors que je commençais à ramasser des petits bouts de joies que je trouvais ici et là pour remplir les cases qui manquaient en moi. J’ai perdu la foi. La foi en l’Homme et puis l’autre, un peu aussi. J’ai égaré en même temps un dernier échantillon de confiance, sur l’autel du travail et de l’argent.

Déjà que je n’en avais que de toutes petites bribes, j’ai de fait perdu la plupart de mes amours de moi. J’ai récupéré d’autres morceaux à la place : des parts de doutes, d’inquiétudes et d’immenses pans d’angoisse.

 

Heureusement qu’entre temps j’avais tout de même réussi à trouver des morceaux d’amour pour me rafistoler, sinon je crois bien que je serais restée toute cassée.

 

Et puis peu après, j’ai perdu un nouveau truc qui aide pourtant bien à vivre : ça s’appelle l’espoir. Complètement broyé celui-là, je ne pouvais même pas me dire que je l’avais juste simplement égaré. Au même instant, mes petits morceaux de joie ont éclaté les uns après les autres… C’était encore dans un hôpital, quand les médicaments de Maman l’ont rendu chauve.

Alors j’ai pris des portions de sursis avec moi pour elle, j’ai volé chez le marchand des rognures de courage, je suis allée récupérer des blocs de forces pour nous deux et je me suis acheté de quoi donner le change.

 

Cinq ans durant, je me suis tenue debout à côté d’elle dans le couloir de la mort… à faire « comme si », comme si tout allait bien se passer, comme si la maladie n’était qu’une mauvaise blague et que bientôt on rirait toutes les deux de ses conneries.

J’ai dû prendre avec moi pas mal de cynisme et de gros fragments de lucidité pour ne pas devenir totalement cinglée.

 

Et quand l’issue tant redoutée est arrivée, j’ai perdu encore plein de petits bouts de moi et j’ai écopé de grands morceaux de colère, de chagrin, de manque et de tristesse.

 

 

Je me suis tellement égarée à perdre des morceaux de moi et à en prendre d’autres qui me tombaient sous la main, que je ne sais plus qui j’étais et encore moins qui je suis…

Je suis hébétée, je ne sais pas si je pourrais un jour me retrouver, me recomposer.

 

 

Il y a longtemps, j’étais plus marrante, insouciante, confiante, imprégnée d’une douce folie, rêveuse comme ce n’est pas permis et légère, légère, légère…

Si seulement je pouvais retrouver quelques uns de mes morceaux pour pouvoir les recoller… Si seulement entre temps je n’avais pas en plus brûlé ma jeunesse, au lieu d’avoir récupéré toute cette gravité et la lucidité de la vieillesse…


Peut-être pourrais-je au moins refaire le chemin à l’envers ?

 


Publié dans Ironie du sort

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O
<br /> Ton texte est extrêmement touchant et pour avoir vécu des événements du même ordre dans la perte, je sais aussi ce que sait de perdre des morceaux de soi et d'en trouver d'autres qui sont la<br /> colère, le ressentiment, le désarroi, la lucidité aussi.<br /> Notre vie sur Terre peut être tellement belle et tellement glaçante, tellement moche aussi quand on perd la foi, quand tout devient gris et morne et froid.<br /> Je n'ai pas pu venir avant pour cause d'examen très important ( que je te raconterai dans un mail privé) mais sache que je suis revenue dès que j'ai pu m'accorder le temps de te lire et un vrai<br /> temps pour laisser les émotions affleurer et te répondre.<br /> Ta peine est immense, le désarroi encore plus et quand on recolle, on sait qu'après on a toujours un cautère sur une jambe de bois. mais quand on continue à vivre,on vit avec et surtout avec plus<br /> d'humanité et d'amour pour les autres, pour ceux dont on devine les mêmes fragilités, les mêmes douleurs et les mêmes colères.<br /> Je pense à toi,<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci Olympia pour tes mots. Je reviens bien tardivement sur cet article et vois par la même occasion ton commentaire... Je t'embrasse<br /> <br /> <br /> <br />